1914



Ah, la Belle époque, le début du XXème siècle...

La France, 2ème puissance mondiale après son vieux rival britannique vit une période d’essor et de progrès jamais égalée. L’empire colonial s’étale des rives du Tonkin aux côtes du Sénégal. 

Paris est la capitale des sciences, des arts et de la pensée.

 Les lignes électriques et téléphoniques commencent à couvrir le pays. Les de Dion Bouton, les Peugeot 105 ou les Renault type AX filent à 55 km/h et concurrencent les chevaux sur les routes pavées. La foule qui se jette en masse sur les livres à 35 centimes frissonne aux aventures d’Arsène Lupin ou de Rouletabille et éclate de rire en voyant Max Linder ou le gamin Bout de Zan au cinéma muet. 

Le soir les gens comme il faut s’encanaillent dans les cabarets de la Butte Montmartre, le Moulin Rouge ou les Folies Bergère tandis que les ouvriers partent le dimanche à la fête foraine ou danser dans les guinguettes. Jamais la France n’a connu une telle période de paix et de prospérité ininterrompue. Jusqu’à ce qu’un étudiant serbe exalté ne tire sur l’héritier au trône d’Autriche Hongrie au début de l’été 1914…





La IIIème république, née après la grande défaite face à la Prusse de 1870, est désormais solidement enracinée dans les esprits. L’école publique gratuite et obligatoire jusqu'à 13 ans, les grandes célébrations du 14 juillet où les notables locaux paradent avec l’écharpe tricolore, le service militaire de deux ans, le récit de nos conquêtes coloniales ont progressivement fait basculer la majeure partie de la population française dans le soutien à ce régime républicain qui reste encore une exception en Europe.



Les inégalités sociales restent criantes, les ouvriers gagnent souvent moins d’un franc par jour et autour des grandes villes françaises s’étalent de véritables bidonvilles où s’entassent les déclassés. 


A côté de cela une bourgeoisie oisive vit de ses rentes et fréquentes les salons parisiens et les endroits comme il faut. Biarritz et Cannes l’hiver. Deauville l’été. Corsets et ombrelles (pour garder un teint délicieusement pâle) pour ces dames, canotiers et gants beurre frais pour les hommes sont de rigueur.


Le Président de la République Raymond Poincaré, élu en janvier 1913 entame la seconde année de son mandat. Prince des élégances, fin politique c'est un républicain modéré qui sait parfaitement jouer son rôle d'arbitre dans la vie tumultueuse de la IIIème République. En effet il ne faut pas l'oublier que celui-ci, élu par la Chambre et le Sénat et non par le peuple n’a à l’époque qu’un rôle pratiquement honorifique. Le vrai pouvoir exécutif est entre les mains du Président du Conseil (ancêtre du premier ministre) choisi par le président de la République.




Un poste vital mais fragile tant celui-ci est soumis au contrôle des sénateurs et surtout des députés, les seuls à être élu au suffrage universel, qui font et défont les gouvernement à leur guise. En mai 1914 on en est déjà au troisième gouvernement alors que le Président de la République est là depuis moins d'1 an et demi !

Diplomatiquement, La France a un ennemi. L’Empire d’Allemagne qui lui a arraché l’Alsace-Lorraine lors du désastre de 1870. En 1905 puis en 1911  les deux pays ont failli déjà rentrer en guerre pour la possession du Maroc. Pour faire face au géant allemand, plus grand et plus peuplé, les conquêtes coloniales ne suffisent pas. Notre pays s’est rapproché de la Russie tsariste pour mieux encercler l’ennemi commun. Pour sceller cette union, l’état a encouragé les français à investir leurs économies dans les emprunts russes notamment pour construire le transsibérien. "Prêter à la Russie, c’est prêter à la France !"


De même la France s’est rapproché de son traditionnel ennemi anglais, lui-même inquiet de la vitalité économique allemande. C’est l’entente cordiale qui permet au passage de régler les contentieux du partage colonial. Face à cette Triple Entente, les Allemands se sont rapprochés de l'Autriche-Hongrie et de l'Italie pour former la Triple Alliance ou Triplice. Personne ne veut vraiment la guerre mais tout le monde est prêt à la faire...


La France de 1914 est une république troublée où les débats sont virulents, les positions tranchées et où l'on se remet à peine de l’affaire Dreyfus. On a beau faire entrer les cendres de Zola au Panthéon, Dreyfus, réhabilité deux ans plus tôt, est victime en 1908 d’une tentative de meurtre dont l’auteur sera scandaleusement acquitté par les tribunaux..


L'une de ses conséquence indirecte fut la grande fracture de la séparation de l’Église et de l'Etat en 1905. Au grand dam des conservateurs et à l’initiative du Parti Radical, le République Française, héritière des Lumières et de la Révolution Française s’est officiellement séparée de l’Eglise Catholique, Apostolique et Romaine considérée comme trop conservatrice et monarchiste.  En 1903 des congrégations religieuses comme les Chartreux ont été chassés de leurs couvents entre deux gendarmes. Les relations diplomatiques avec la papauté sont rompus l'année suivante. Les lieux de cultes sont propriété d’état et lors de leurs inventaires calotins et bouffeurs de curés font le coup de poing. Il y aura même des morts.

Jaurès et Clemenceau
La vie politique est agitée. cela se règle parfois à l'épée ou au pistolet devant témoins. Si les partis républicains modérés sont au pouvoir en 1914, les débats sont toujours vifs pour savoir quelle ligne politique suivre. Le parti radical de Georges Clemenceau qui dirige le journal "l'Aurore" très anticlérical et nationaliste défend la République laïque bec et ongle.

La toute nouvelle Section Française de l’Internationale Ouvrière, née en 1905 avec son journal "l’Humanité", (et le premier syndicat: la CGT) est menée par Jean Jaurès défenseur de la cause ouvrière et l’un des rares pacifistes du temps.

Les partisans du retour au christianisme et à la monarchie qui vomissent la gueuse, cette république des juifs, des protestants et des francs maçons se regroupent auprès de Charles Maurras et Léon Daudet dans l’Action Française qui séduit beaucoup dans la bourgeoisie conservatrice.

La France frissonne en pensant aux anarchistes qui suivent le modèle de Ravachol ou de Caserio qui ont semé la terreur il y a quelques années en assassinant le président Lazare Carnot ou en jetant une machine infernale dans l’assemblée nationale.

Preuve de l'extraordinaire virulence de la politique du début du XXème siècle, en ce début de l'année 1914, toute la France se passionne pour l'affaire Caillaux : l'épouse du Ministre des Finances va assassiner dans son bureau le directeur du Figaro Gaston Calmette. Depuis plusieurs mois, le journal mène une campagne de diffamation contre le ministre radical qui veut introduire l'impôt progressif sur le revenu. Le Figaro s'apprêtait à publier des lettres compromettantes sur les relations intimes des époux Caillaux avant leur mariage. Henriette Caillaux sera acquittée le 28 juillet.

La criminalité est florissante et fait la fortune des gazettes à sensation, à l'image de l'affaire de la "bande à Bonnot " audacieux malfaiteurs anarchistes en automobile dont la traque à passionné la France deux ans plus tôt.

Face à la menace anarchiste, et aux "apaches", les mauvais garçons de l'époque, la police s'organise.  A l'initiative d'Alphonse Bertillon, inventeur de la police scientifique en France, on commence à classer les criminels selon leur photos anthropométriques, étudiant au passage la forme des crânes pour détecter une éventuelle bosse du crime. Les empreintes digitales commencent à peine à être relevée sur les lieux des crimes...



Et pour ceux qui se font prendre se profile la haute silhouette de la guillotine...

Dans la haute société on se passionne pour l’occultisme et le spiritisme. Le grand Victor Hugo lui-même ne faisait-il pas tourner les tables dans son exil de Guernesey. Spirites, ésotéristes, astrologues, druides, voyants et charlatans de tout poils pullulent. La tombe au Père Lachaise d’Hyppolite Léon Rivail dit Allan Kardec inventeur du spiritisme moderne, mort en 1869 est un lieu de pèlerinage toujours fleuri (elle l’est encore de nos jours). Les salons et les sociétés secrètes où l’on se livre à des cérémonies mystérieuses pour parler aux morts ou profiter des visions d’un extralucide fleurissent dans le tout Paris mondain. Nous en reparlerons…

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